Economie : Les femmes nigériennes à la conquête du business à travers les groupements.

Mata masu dubara, Motsi yahi labewa, Bine Kaanay, autant des noms qui évoquent le bonheur. Des noms aussi que portent les groupements féminins qui sont des structures organisées afin de permettre à la femme de s’autonomiser et d’aller à la conquête du business au Niger. Cependant, certaines femmes sont à la merci des escrocs.


Nigerfocus le 14 novembre 2022
: Taille moyenne, teint clair, la cinquantaine, corpulence plutôt robuste Aissa Alphari, au milieu d’une trentaine de femmes, discute avec elles sur les opportunités économiques qui s’offrent aux femmes au Niger. C’est aussi le jour de leur rencontre mensuelle. Chaque vendredi du mois, ces femmes viennent chez Aissa pour faire le point des activités de leur « groupement ».

La quinquagénaire s’est engagée à partir de 2017, à aider les femmes de son quartier Talladjé (centre-ville de Niamey) à avoir une activité génératrice de revenus afin qu’elles subviennent à leurs besoins.


« Nous avons mis en place cette structure pour lutter contre la pauvreté et assurer l’éducation des enfants », explique Mme Alphari.


Depuis, elle a créé le groupement « Bine kaanay » (allegresse en langue zarma). Au Niger, les groupements féminins sont des association structurées des femmes qui décident volontairement de se regrouper pour défendre des objectifs communs. Ils ont vu le jour à la fin de la décennie 1970 avec l’avènement de la décennie de la femme proclamée par les Nations-Unies en 1975. Les premiers se sont orientés vers l’aide à apporter aux femmes rurales en leur octroyant des moulins à grains, des puits ou encore des forages afin de les soulager dans certaines activités quotidiennes.


Avec la crise économique des années 1990, ces groupements se sont orientés vers le domaine plus économique et financier. Les femmes membres de ces groupements cotisaient sous forme de « tontine » (forme traditionnelle africaine d’épargne).


Le groupement Bine Kaanay est dans cette forme. Chaque dernier vendredi du mois, toutes les membres se réunissaient chez la présidente Aissa avec leur quote-part.


Aujourd’hui ce sont 2 868 adhérentes qui sont réparties dans les groupements, les unions et la fédération.


« Chacune de nous apporte 2 500 FCFA », explique la présidente.


« Chaque groupement compte 25 personnes, chaque union regroupe 4 groupements et ce sont les unions qui forment la fédération », explique Abdou Hadiza Ali Maiga, présidente de l’Union Kokari et secrétaire générale de la fédération Motsi Yahi Labewa. Une fédération située dans le quatrième arrondissement de la ville de Niamey.

Les retombées


Au niveau de la fédération Motsi Yahi labewa, chaque mois ce sont plus de 7 millions de FCFA qui sont cotisés pas les femmes. Une somme qui est répartie entre ces dernières en fonction des besoins des membres.


« Nous recevons les demandes des membres et nous choisissons en fonction de la pertinence et des objectifs de projets à financer mais aussi des sommes versées par la personne », détaille Abdou Hadiza Ali Maiga.


Les projets vont des activités génératrices des revenus (AGR) à l’import-export en passant par le petit commerce. Ce financement permettra à la femme entreprenante de s’autonomiser et faire des activités pour son épanouissement.


« L’objectif principal de cette fédération est d’autonomiser les femmes et lutter contre le chômage, la pauvreté », indique la secrétaire générale de la Fédération.


La finance n’est pas le seul domaine de cette fédération. Elle a aussi créé des ateliers de formation en couture, en transformation des produits agroalimentaires, en alphabétisation en cuisine et en tissage.


« Le peu que je gagne avec mon petit commerce est utilisé dans la scolarisation de mes enfants et la prise en charge de certaines dépense de la famille », témoigne Aminatou Yansambou une des membres de l’Union KOKARI.


A ses côtés, Hadjia Habsatou Oumarou qui se réjouit de la confiance entre les membres et de tout ce qu’elle a pu apprendre avec toute ses femmes autour d’elle.


Fati Yacouba, elle se réjouit de l’initiative qui leur a permis d’apprendre à lire et à écrire en langue nationale.


L’institutionnalisation


Depuis plusieurs années, des organisations non gouvernementales accompagnent ces femmes et leurs structures dans le domaine de la gestion, de la comptabilité. C’est ainsi que sont nés au niveau des régions les groupements « Mata masu dubara » (Les femmes ingénieuses en haoussa MMD). Ces groupements sont partout au Niger grâce à l’ONG Care international.


« Les MMD font la mobilisation des fonds propres pour mener des activités économiques », explique Mme Abdoulaye Fourera Inoussa de Care international.


Au Niger, les femmes représentent plus de la moitié de la population. Selon plusieurs études, elles se disent marginalisées dans la gestion de la vie publique. Avec les groupements elles participent au développement des régions à travers les activités économiques et sociales.


« Elles essaient d’aborder les aspects sociaux à travers les séances de sensibilisation sur des préoccupations sur le genre, la scolarisation, le maintien de la jeune fille à l’école, le mariage forcé » détaille Mme Abdoulaye Fourera Inoussa.


Aujourd’hui cette méthode a conquis même les cœurs des hommes qui se retrouvent dans les groupements soit entre eux ou avec d’autres femmes.


Le revers de la médaille


Si certains groupements ont réussi à aider leurs membres tel n’est pas le cas pour d’autres. Les escroqueries dans le milieu sont devenues courantes.
« Presque chaque jours nous récevons des cas de ce genre, une victime qui convoque sa présidente », nous affirme Sani Harouna, le président du tribunal de l’arrondissement communal Niamey IV.


Samira Amadou, une jeune femme d’une trentaine d’années, a eu des mauvais souvenirs dans un groupement féminin. Ménagère de son état, elle pensait pouvoir mettre en place une petite unité de production de jus dans sa maison. Pour cela, elle a adhéré à un groupement dans lequel elle espère avoir 300 000 afin de payer un réfrigérateur et les premiers ingrédients afin de démarrer son petit commerce. Malheureusement pour elle, elle est tombée dans un réseau d’escroquerie.


« J’ai versé plusieurs mois en raison de 5 000 par mois, mais quand mon tour est arrivé, je n’ai vu personne », se rappelle la jeune femme.


Depuis elle attend la réponse des responsables du groupement qui ne lui ont donné aucune explication.


Si Samira n’a pas voulu l’affaire devant les services compétents, d’autres préfèrent un règlement devant la police et au niveau de la justice. Et dans tous les cas, le règlement à l’amiable est recommandée.


« Les responsables s’engagent à rembourser », explique le magistrat.


« Depuis que j’ai vu que les histoires de plusieurs groupements ont fini en queue de poisson, je n’ai jamais songé à y adhérer », martèle pour sa part Kadidja Issoufou, une autre femme d’une trentaine d’années.


Les différents programmes pour l’autonomisation des femmes ont vu le jour avec la crise économique des années 1990. Ils ont permis une meilleure organisation des structures féminines et une meilleure prise en compte des questions en lien avec la femme. Cependant, ces structures ont ouvert la brèche à des personnes mal intentionnées de profiter de la naïveté des membres.


Charifatou Paraiso (www.nigerfocus.com)